Le moine Bodhidharma
Selon la légende, un moine bouddhiste du nom de Bodhidharma, après avoir beaucoup voyagé, s’installa dans un temple shaolin où il constata à quel point les moines étaient incapables de se concentrer pour méditer. En effet, ces derniers étaient affaiblis par des exercices ascétiques, des discussions doctrinales sans fin et avaient abandonné toute pratique physique. Afin de rétablir leur santé et de permettre une union harmonieuse entre le corps et l’esprit, source de toute évolution spirituelle à ses yeux, Bodhidharma leur enseigna des mouvements issus pour une bonne part des arts martiaux indiens et chinois qu’il avait lui-même perfectionnés au cours de ses longs et périlleux voyages. Cette méthode, complétée par des techniques de Hatha Yoga, prit le nom de IChin Ching. Le monastère devint par la suite la plus célèbre école d’arts martiaux. Des moines quittèrent le temple et allèrent enseigner dans d’autres monastères.L’île d’Okinawa est un point de rencontre des cultures chinoise et japonaise où un mélange de kempo et une forme locale de combat (Te) finit par donner naissance à une méthode appelée Tang Main ou Tang Te. Lorsque les Japonais ont envahi Okinawa au XVIIe siècle, ils interdirent l’emploi de toute arme. Pour se protéger, les habitants de la région ont développé, secrètement, une méthode de combat à mains nues. (Kara : main, Te : vide).
Shotokan et Maître Funakoshi
Maître Funakoshi Gichin (1868 – 1957) est né dans le district de Yamakawa-Chô à Shuri, capitale royale d’Okinawa. Il est considéré comme le père du Karaté-Do. Funakoshi Gichin est né juste à la période du renouveau de l’Empire japonais et les traditions séculaires d’Okinawa au sein de sa famille auront une conséquence sur sa destinée. A l’époque féodale, seules certaines classes sociales avaient accès aux examens d’État. À la restauration Meiji, si toutes les classes sociales pouvaient y prétendre, il fallait être né après 1870 pour avoir le droit de se présenter. Avec l’aide des autorités locales (chose plus facile à faire à l’époque que maintenant), Funakoshi Gichin a falsifié sa date de naissance (1870 ou 1871) pour pouvoir passer l’examen de l’école de médecine, qu’il a réussi.
La Cour impériale, pour bien marquer sa différence avec le régime Shogunal précédent, avait édicté une loi interdisant aux hommes le port des cheveux noués en chignon sur la tête. L’esprit traditionaliste de la famille Funakoshi et les traditions d’Okinawa qui considéraient le port du chignon comme un symbole de virilité et de maturité, ne pouvaient accepter cette loi qu’elle jugeaient déshonorante.
Le jeune Funakoshi Gichin n’a pas connu l’école de médecine. À 15 ans, il avait pour professeur le fils d’Azato Anko, maître okinawaien du Todé très respecté dans l’île, qui allait lui faire découvrir la passion de sa vie, l’Okinawa-Té, en présentant Funakoshi à son père.
En 1883, bien que préfecture du Japon, l’esprit et le coeur des habitants d’Okinawa étaient tournés davantage vers la Chine. Le « Japonais » était considéré comme un étranger; l’art du combat n’était enseigné qu’à des individus de bonnes familles. C’est ainsi que Funakoshi Gichin a appris l’Okinawa-Té à la lueur des lampes torches.
Au fil des ans, Funakoshi Gichin s’est instruit auprès des maîtres Azato Anko et Itosu Anko et vers la fin du XIXe siècle et perfectionna son art auprès d’autres maîtres comme Higaonna Kanryo (1853 – 1916) et Arakagi Kamadeunchu (1840 – 1920) de la branche du Tomari-Té.
Au début du XXe siècle, l’Okinawa-Té a commençé à s’ouvrir au public par l’intermédiaire de l’éducation physique à l’école primaire sous l’impulsion de Itosu Anko. Funakoshi Gichin allait le populariser.
À la fin de l’ère Meiji et à la mort de l’Empereur Mutsuhito succéda l’Empereur Yoshihito et l’ère Taishô en 1912. Le Japon était devenu une puissance économique et militaire avec laquelle il fallait compter. Sorti vainqueur des conflits sino-japonais en 1895 et russo-japonais en 1905, et suite à l’annexion de la Corée en 1910, le nationalisme japonais était en pleine expansion.
En 1916 a eu lieu la première démonstration d’Okinawa-Té au Japon, à Kyoto. Auparavant dans l’île d’Okinawa, en 1906 et 1913, des démonstrations publiques avaient eu lieu par des experts dont Funakoshi Gichin, Motubu, Mabuni, etc.
Le prince héritier, Hirohito, en route pour l’Europe, a fait escale à Okinawa en mars 1921 et a assisté à une démonstration de l’Okinawa-Té qui l’a enthousiasmé au point que les autorités de l’époque, en plein développement impérialiste et militariste, ont vu dans cet art un moyen, comme beaucoup d’autres, de fortifier l’élite.
En 1922, mandaté par ses pairs et sur invitation de l’empereur, Funakoshi Gichin s’est rendu à Tokyo pour y faire une démonstration qui allait changer le cours de l’art du combat d’Okinawa. Funakoshi Gichin avait été choisi pour ses qualités techniques et ses parfaites connaissances des us et coutumes du peuple japonais, étant professeur lecture et d’écriture de la langue japonaise dans la vie courante. Il était passé maître aussi dans l’art de la poésie et de la calligraphie.
C’est à cette époque que Otsuka Hiro, maître de l’école (Menkyo-Kaiden) Shindo Yoshin Ryu Ju-Jutsu, a rencontré Funakoshi Gichin pour la première fois.
Fort de son expérience, Otsuka Hironori a appris très rapidement les techniques de l’Okinawa-Té. Après huit années de collaboration et après avoir été l’un de ses premiers assistants, las des différends qui l’opposaient à Yoshitaka, fils de Funakoshi Gichin, Otsuka Hironori a quitté maître Funakoshi Gichin pour fonder, avec son consentement dit-on, le style Wado-Ryu.
C’est à peu près à cette même période que Maître Funakoshi Gichin a changé les idéogrammes de Todé ou Okinawa-Té, qui signifiaient » main de Chine » ou » main d’Okinawa « , et les a remplacés par l’idéogramme Karaté qui signifie » main vide « . Il a ajouté le suffixe Do ( la Voie), ce qui sera d’ailleurs très utile pour faire accepter le Karaté-Do dans le panthéon des arts martiaux japonais, le Butokukai. À cette période d’expansion du nationalisme, il n’était pas bien vu d’avoir des origines chinoises. Maître Funakoshi Gichin en a profité pour transformer les noms des katas » Pinan » en » heian « , ainsi que le nom des techniques, marquant pour ainsi dire » la japonisation » de l’art du combat d’Okinawa. Le nom » Shôtôkan « , qui sera associé par la suite au style, ne viendra que plus tard.
Le Karaté-Do (peut s’écrire Karatédo) est reconnu au Japon en 1933 et, en 1935, Funakoshi Gichin réalise un vieux rêve par la construction d’un dojo. Le nom « Shôtôkan » sera donné à ce dojo et sera associé par la suite au style.
En fait, il existe quatre styles de karaté traditionnel desquels naîtront tous les autres : Shotokan, Shito-Ryu , Wado-Ryu et Goju-Ryu . En 1955, l’Association japonaise de karaté (J.K.A.) est créée, ayant comme instructeur-chef Senseï Funakoshi. Après avoir formé de nombreux disciples, qui vont diffuser le Karaté-Do à travers le monde, maître Funakoshi Gichin s’est éteint en 1957, à l’âge de 88 ans. Il a été surnommé « le père du karaté moderne ». Gichin Funakoshi demeure à tout jamais gravé dans la mémoire des karatékas de style shotokan.
Il a laissé une oeuvre autobiographique rédigée en 1956 : Karaté-Do, ma voie, ma vie. Maître Funakoshi Gichin et Maître Otsuka Hironori avaient en commun le sens de l’honneur, le respect des traditions, la tolérance et la passion de leur art.